« Ce qu’incarne le FN perpétue exactement tout ce contre quoi de Gaulle a élevé sa stature »

« Ce qu’incarne le FN perpétue exactement tout ce contre quoi de Gaulle a élevé sa stature »
Dans une tribune au « Monde », l’historien Jean-Noël Jeanneney estime qu’avec le ralliement de Nicolas Dupont-Aignan à Marine Le Pen, alors qu’il se prétend « gaulliste », « l’enjeu est trop lourd pour qu’on se contente de la grimace du mépris ».
LE MONDE | 30.04.2017 à 06h45 • Mis à jour le 30.04.2017 à 15h40 | Par Jean-Noël Jeanneney (Historien)

TRIBUNE. Le dégoût n’exclut pas le sang-froid. L’enjeu est trop lourd pour qu’on se contente de la grimace du mépris.
Au moment où le président de Debout la France, Nicolas Dupont-Aignan, annonce qu’il vend sa liberté et sa dignité à l’extrême droite contre la promesse des miettes d’un pouvoir, au moment où il prétend apporter à la candidate du Front national (FN) le soutien des voix qu’il a reçues au premier tour de l’élection présidentielle, son exclamation d’hier claque encore dans nos oreilles : « Je suis gaulliste ! »
Oh ! je sais bien qu’une médiocre tolérance, au long des années, avait accepté que l’adjectif serve à toutes les prétentions d’une énergie proclamée.
Georges Pompidou s’affichait gaulliste lorsque, en 1973, successeur du général à l’Elysée, il ouvrit au Royaume-Uni les portes du Marché commun, alors qu’il était clair aux yeux de tous que les Britanniques ne partageaient en rien – ils l’avaient proclamé dès le traité de Rome de 1957 – l’ambition d’une Europe politique qui parlât haut, en tant que telle, dans le monde – celle pour laquelle, à sa manière, de Gaulle avait inflexiblement combattu.
Héritage moral
Jacques Chirac et son RPR, plus tard, brandirent sans vergogne l’étendard de la croix de Lorraine lorsqu’ils accédèrent aux affaires, lors de la cohabitation de 1986.
En un temps où, en connivence avec son ministre des finances, Edouard Balladur, il avait fait doctrine d’un libéralisme à tous crins, inspiré de Ronald Reagan et de Margaret Thatcher, il avait offensé de plein fouet la conviction que le général avait si souvent exprimée et incarnée : « Voyez-vous, Peyrefitte, le marché, il a du bon, il oblige les gens à se dégourdir… mais en même temps il fabrique des injustices, il installe des monopoles, il favorise les tricheurs… Le marché n’est pas au-dessus de la nation et de l’Etat. C’est l’Etat, c’est la nation qui doivent surplomber le marché. »
L’UMP de Nicolas Sarkozy approuva sans hésiter celui-ci lorsque, parvenu à son tour à l’Elysée, il décida, à tous risques pour notre indépendance politique et militaire, de réintégrer l’OTAN dont de Gaulle avait choisi de quitter l’emprise pour des motivations explicites qui n’avaient guère perdu de leur vitalité.
Devant cette prétention à une fidélité généalogique, diluée dans une sorte de brouet incertain, on pouvait sourire. S’attrister que, dans les préaux, l’héritage du 18-Juin se résumât de plus en plus à des coups de menton. Juger que c’était faire injure à la mémoire d’un homme qui fut grand si souvent que d’en instrumentaliser de la sorte le nom.
Mais aussi, se réjouir, après tout, que ce fût au moins l’occasion de rappeler que, si le Général lui-même disait : « Le gaullisme sans de Gaulle, je n’y crois pas », il ne doutait pas que son héritage moral et le souvenir de ses combats pussent inspirer de nouvelles ardeurs, dans d’autres circonstances et à partir d’autres réalités, imprévisibles à l’avance : ses Mémoires prestigieux se situent exactement dans cette ligne.
A présent voici toute autre chose
Dès lors il revenait à chacun de faire la part des choses et aux autres familles politiques ou spirituelles que les gaullistes autoproclamés, si elles en avaient le goût et la sagesse, d’intégrer, selon leur génie propre, une part de cet héritage flamboyant.
Soit. Mais à présent voici toute autre chose. Il n’est pas question seulement d’ironiser devant certaines invocations rituelles réitérées parmi la droite républicaine. Il ne s’agit pas d’un simple glissement de plus dans l’approximation.
M. Dupont-Aignan vient, pour sa courte honte, de franchir un gouffre. Car ce qu’incarne le FN, le parti de Jean-Marie Le Pen emmené aujourd’hui par sa fille, perpétue exactement tout ce contre quoi de Gaulle a élevé sa stature : on ne doit pas se lasser de le rappeler aux générations nouvelles.
C’est éclatant en termes historiques : [le vice-président du FN] Florian Philippot peut bien aller régulièrement faire des génuflexions à Colombey-les-deux Eglises, il ne fait pas oublier l’hommage qui est régulièrement rendu par Louis Aliot, compagnon de Marine Le Pen, au souvenir du commando de Bastien-Thiry, fils de Vichy et de l’OAS, et de son commando, qui tentèrent d’assassiner de Gaulle en août 1962 et n’échouèrent que par un hasard extraordinaire.
C’est évident idéologiquement, tant sont près d’affleurer à la surface, comme vient tout juste de le démontrer le va-et-vient éclair d’un président du FN par intérim, ouvertement négationniste, les remugles de perpétuations détestables. C’est patent doctrinalement, tant l’idée du repli de la France sur elle-même, tant un nationalisme qui a le front de s’assimiler au patriotisme offensent l’universalisme de la pensée et de l’action du général de Gaulle.
Il ne reste plus qu’à espérer que M. Dupont-Aignan, prétendument gaulliste, se trouve réduit bientôt, pour sa courte honte, à se répéter le propos de Montaigne : « Je me fais plus d’injure en mentant que je n’en fais à qui je mens. »

         Jean-Noël Jeanneney (Historien)


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