Un bec printanier, poème de Carine Garçon
Un bec printanier
On est dimanche, un dimanche matin de printemps.
Il m’appelle ce printemps, comme tous les printemps,
il chante et pénètre mon âme endormie par l’hiver.
il chante et pénètre mon âme endormie par l’hiver.
L’envie de le retrouver est si forte, presque indomptable,
Comme l’appel du plaisir à tourbillonner autour du soleil,
Ultime récompense après l’hiver.
J’ouvre mon armoire pour saisir cette robe légère
Que toi, mon printemps, aimes tant.
Je dévale l’escalier pour accourir vers toi,
L’excitation m’envahit de marche en marche,
L’excitation m’envahit de marche en marche,
Je suis en bas, prête à accueillir mon cher printemps,
J’y suis, prête à recevoir mon cadeau tant espéré.
J’ouvre ma porte et je te découvre enfin.
Je ne te reconnais pas, tu es calme, mystérieux.
N’es-tu pas heureux de partager ta chaleur avec moi ?
Je ne t’ai pas manqué durant cet hiver si froid ?
Où sont les rires des terrasses et l’orchestre des assiettes ?
Où sont les vœux tintés par les verres ?
Où sont mes compagnons d’amour du printemps ?
J’avance effarée dans un nouveau printemps inconnu,
Je ne reconnais plus rien.
Ma bouche !
Qu’est-il arrivé à ma bouche ?
Mes mains, mon nez, mon visage ?
Effrayée, je regarde mon reflet dans une vitrine.
J’ai changé !
Mon Dieu, j’ai terriblement changé.
Eux aussi, ils ont tous changé.
Je suis à présent un canard, un canard tremblant.
Oui, un canard ! Vous avez bien compris.
Ma bouche a laissé place à un large bec qui m’empêche d’embrasser le monde.
Mon nez est prisonnier de ce bec informe.
Mes doigts sont revêtus d’une matière plastique, comme des palmes.
Je ne peux plus toucher, je ne peux plus sentir,
je ne peux plus exprimer de désir.
je ne peux plus exprimer de désir.
Une mare noire se dessine au loin.
Je regarde les autres canards apeurés rejoindre cette file.
Comme tous les canards, je la rejoins.
À présent, nous sommes les uns derrière les autres.
À présent, nous sommes les uns derrière les autres.
Je me laisse guider jusqu’au bout.
Jusqu’à la nourriture.
Il ne me reste à présent que mes yeux.
Des yeux d’âme troublée.
Je comprends alors que si je reste avec eux, collée à eux, je finirai possédée. Rongée.
J’ai peur de les regarder, j’ai peur de leur parler.
J’ai peur de les aimer.
Mon coeur comprend qu’il faut partir.
Je nage en sens inverse pour retrouver mon nid.
Sur le chemin, j’entends des milliers de canards en détresse
Appelant à l’aide pour retrouver leurs bouche et leur respiration.
Ils sont condamnés à vivre dans la marée noire avec un nouveau souffle.
Un souffle froid, mécanique.
Je n’entends que des gorges emportées, saisies de spasmes incontrôlés.
Je fuis la mare, remonte mes marches,
Je ferme ma porte et arrache cet ignoble bec qui m’empêche d’aimer.
Je ferme ma porte et arrache cet ignoble bec qui m’empêche d’aimer.
Je frotte mes mains sous l’eau pure afin de retrouver ma peau.
Je m’assois effondrée, effarée, seule.
Je regarde au loin mon printemps par la fenêtre.
Oh toi, tu es bien content.
Tu es seul et te venges en chauffant plus fort nos corps.
Tu n’en veux pas de nos rires, tout ce qui t’intéresse, toi, c’est la paix.
Tu n’y es pour rien, nous ne sommes pas des canards à cause de toi.
Mais n’en tires-tu point profit ?
Toi, tu souhaitais simplement plus d’amour, plus de respect,
Plus de sentiment.
Alors tu as préservé ta nature en nous ramenant au nid,
La punition est forte.
L’amour est rangé, hiberné, reporté.
Tu veux dire que, lorsque nous ne serons plus des canards,
nous t’aimerons plus fort ?
nous t’aimerons plus fort ?
Mais peut-être voudrons-nous venger nos cœurs glacés.
Le canard crie, s’impatiente, implore et s’excuse.
Fais de nous des cygnes et fais nous danser à nouveau.
Laisse moi, ô printemps te regarder avant l’écrasante chaleur de l’été.
Anéantis ce mal qui nous possède,
Libère nos âmes affaiblies,
Laisse moi t’embrasser, danser près de mes hirondelles,
Laisse moi humer les roses de ton printemps.
© Carine Garçon
Paris, 12 avril 2020
Paris, 12 avril 2020
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