Eric Dupond-Moretti, texte extrait de l'interview










Bonjour Eric Dupond-Moretti.

Bonjour, Augustin Trapenard.

Merci beaucoup d’être avec nous, c’ matin.

Merci d’ m’ inviter.

Tout d’abord, j’ vais vous dire, moi, c’est une question qui m’ passionne : de quelle responsabilité est-ce qu’on se sent investi quand on fait votre métier ?

Il faut convaincre, peu importe la morale. Il faut gagner.

Peu importe la morale ? 

Oui, bien sûr ; la morale, c’est… quelque chose que l’on réserve pour soi, pour les gens qu’on aime, pour ses enfants, pour les proches… pour les amis…

La justice, pour autant, n’entretient aucune relation, aucun lien avec la morale ?

SI, bien sûr que si, mais c’est justement la raison pour laquelle l’avocat doit se détacher d’ la morale !

Prêter sa voix…

Moi, je suis pas là pour juger ceux pour qui je plaide, je prête ma voix.

Ça veut dire ça, avocat, prêter sa voix. Vous l’ dites dans l’ spectacle, prêter sa voix à un individu, qu’il soit accusé ou partie civile, qu’est-ce que ça implique pour vous ?

Prêter sa voix, d’abord, à quelqu’un qui, souvent, n’en a plus. Parce que c’est difficile d’être accusé ou d’être partie civile. Et c’est la raison pour laquelle il faut gagner avec une obligation qui n’est pas une obligation de résultat. C’est une obligation de moyens, c’est-à-dire qu’il faut tout faire pour parvenir à un résultat acceptable.

Alors, dans vot’ spectacle A la barre, vous dites que notre société est devenue moralisatrice : à quoi vous pensez au juste ?

Ben, ne voyez-vous pas, autour de nous, la naissance de nouveaux Saint-Juste, d’une nouvelle morale, d’une bienséance, d’un manichéisme qui nous conduit forcément à aller soit vers le noir, soit vers le blanc ? Sans nuances ? Ne sentez-vous pas que les uns jugent les autres et sont aujourd’hui les censeurs des autres ?

Que tout l’ monde peut s’improviser juge et qu’ ça a une incidence sur l’ fonctionnement de la justice et sur les décisions des juges ?

Forcément !

Lorsqu’une décision de justice est contestée, lorsque les habitants de Levallois-Perret, par exemple, brandissent des panneaux en faveur de votre client liberty for Balkany ! ils s’improvisent juges, eux aussi ?

Oui, ils rappellent peut-être qu’il n’est pas qu’une fraude fiscale et qu’il est un bon maire, peut-être, et qu’il est un homme aimé dans sa commune, effectivement !

Non, mais liberty for Balkany ! ça veut dire libérez-le.

Ben, oui, mais y a des gens qui ont envie de dire qu’il n’a rien à faire en prison…

Vous dites…

Et qui le disent !

Et vous en êtes, vous ?

Ben, moi j’ suis son avocat. Vous imaginez bien, quand même, que j’ vais pas vous dire que j’ suis ravi qu’il soit en prison.

Vous dites, Eric Dupond-Moretti, qu’ pour être juge, il faut aimer les hommes…

Ah, oui, j’en suis convaincu.

C’est quoi, un homme, pour vous ?

Et d’abord, c’est quoi, un juge qui aime les hommes, si vous l’ voulez bien ? pa’ce que y a des gens qui intègrent la magistrature, parce qu’ils ont un sens profond de l’humanité. Moi, j’ai connu d’ très grands juges dans mon parcours professionnel, des gens qui aiment le contradictoire, qui sont humains, qui sont indépendants ! Pis j’ai connu aussi un tas d’ types qui sont rentrés là pour régler leurs petits comptes avec eux-mêmes ! Et ceux-là, i sont détestables, infiniment détestables !

Vous parlez moins des juges que des hommes, là ?

D’accord, mais d’abord, parlons des juges ! Ben, c’est quoi, un homme… c’est… c’est un peu d’ombre et un peu d’ lumière !

Et pour être avocat, faut-il les aimer, les hommes ?

Ah, j’ crois qu’il faut aimer les gens profondément, ouais.

Ça veut dire que vous aimez tous les individus qu’ vous défendez ?

Ecoutez, j’ les aime pas avant, j’ les aime pas après, j’ les aime pendant !

Existe-t-il un individu ou a-t-il existé un individu qu‘ vous avez refusé d’ défendre ?

Oui, bien sûr !

Pour quelle raison ?

Pa’ce qu’i m’a d’mandé d’ plaider une cause ! Moi, je suis pas un plaideur de causes. J’ai déjà expliqué cent fois que j’aurais pu défendre Faurisson, mais pas Faurisson qui          m’ demande de dire que les chambres à gaz n’ont pas existé.

Parce qu’ y a une limite, quand même, morale ?

Oui, que je m’impose à moi-même, mais que je n’impose pas aux autres ! Y a, euh… Bien sûr que vous pouvez pas euh… plaider quelque chose auquel vous ne croyez pas du tout.

Hum. Est-ce que vous diriez, Eric Dupond-Moretti, qu’on a vraiment intégré l’idée qu’ la défense est un droit essentiel ?

Ah, pas du tout, ha ha !! Ah, non, pas du tout, non.

Est-ce que c’est ça, moi, que j’ retiens, moi, beaucoup !

Non, euh… Quatre-vingt pour cent des Français n’aiment pas les avocats et soixante-dix pour cent des Français aiment leur avocat ; c’est-à-dire que, quand ils ont des emmerdements, i’ s’ rendent compte quand même, euh… qu’i faut_aller voir un avocat. Ils adorent l’ordre, mais c’est pas dans l’hermine d’un avocat-général que les gens, qui ont des difficultés avec la justice, vont se réfugier !

Alors qu’est-ce que ça veut dire, rendre justice ? Qu’est-ce que ça veut dire, au fond ? C’est pas une notion qui peut sembler relative selon l’endroit où l’on s’ place ?

C’est totalement relatif, selon l’endroit, pardonnez-moi, et selon les époques !

Qu’est-ce que vous trouvez injuste, vous, Eric Dupond-Moretti ?

Ce que j’ trouve injuste, c’est quand un homme est jugé, sans qu’on ait pris en considération sa part de… d’humanité, son histoire. C’est quand un homme se voit infliger une peine, sans qu’on ait appliqué un sacro-saint principe, qui s’appelle la personnalisation d’ la peine.

Et de quelles injustices est-ce que vous avez le sentiment d’avoir été victime, vous ? Personnellement, oui.

Ah ben… des tas d’injustices, mais qui sont fondatrices !

Familiales ?

Familiales ! j’suis le fils d’une maman immigrée italienne, c’est pas forcément facile ! Euh… la perte de mon père, c’est pas facile ! Euh… le meurtre de mon grand-père, qui était un Rital dont tout l’ monde se moquait et y a pas eu d’enquête, on n’a jamais r’trouvé son meurtrier. Et pour cause ! Tout ça, c’ sont des injustices !

On s’en remet, de l’injustice ?

Euh… on en fait quelque chose, en tous les cas.

Quand on vous accuse, Eric Dupond-Moretti, d’avoir aucune empathie envers les victimes, vous répondez quoi ?

Je réponds qu’ c’est pas vrai.

Et c’ qu’on pense de vous, qu’est-ce que vous en faites, en fin d’ compte ?

Ben, quand on pense du bien, j’ prends, quand on pense du mal, je laisse.





































Comments

Popular posts from this blog

Bah ou ben ? Ne pas confondre ces deux interjections.

La pause, sketch d'Albert Dupontel, avec texte intégral

Une noix, chanson de Charles TRENET, un véritable poème